IRAN:OBJECTIF
PAIX
Le Consensus anti-iranien
La question iranienne est une des rares questions sur lesquelles les pays arabes,Israël et l'Occident parviennent à trouver un consensus. Ces trois entités voient en effet en la République islamique une menace pour leur sécurité respective-en particulier du fait du programme nucléaire iranien que Téhéran dit vouloir« à des fins civiles »-et tous souhaitent,à long terme,un changement de régime à Téhéran.
Certes,si l'Iran et les pays arabes appartiennent tous deux au monde musulman,des différences fondamentales subsistent entre ces deux « sous-ensembles » de la civilisation musulmane,en particulier sur les plans culturel (clivage perse/arabe) et confessionnel:les iraniens sont chiites tandis que la majeure partie des pays de la Ligue Arabe- exceptions faites de la Syrie de Bachar El Assad et de l'Irak du premier ministre El Maliki- est dirigée par des sunnites,confession la plus représentée au sein des populations arabes sauf au Liban,en Irak et à Bahreïn.
Ainsi,les Arabes entretiennent et ont-il toujours entretenu des rapports pour le moins houleux avec l'Iran y compris à l'époque du Chah Mohammed Reza Pahlavi,qui menait une politique ouvertement pro-occidentale et pro-israélienne.
La Révolution islamique de 1979,guidée par l'Ayatollah Ruhollah Khomeini ne va pas pour autant changer la donne. En effet,dès lors,les monarchies arabes du Golfe craignent un soulèvement de leurs minorités chiites dans le prolongement de la Révolution khomeyniste. Pour le président irakien Saddam Hussein,un sunnite arrivé au pouvoir la même année suite à un coup d'état fomenté contre son cousin Al Bakr,la menace iranienne est double :confessionnelle et idéologique.Non seulement,la révolution pourrait s'étendre aux chiites d'Irak-60% de la population-mais elle menacerait également la base laïque du régime baasiste irakien. C'est ainsi que débute en 1980 la guerre Iran-Irak qui débouchera sur un statu quo ante bellum en 1988. Le gouvernement de Bagdad,soutenu par les monarchies du Golfe et les Occidentaux,aura néanmoins réussi le pari de contenir la révolution iranienne.
Le renversement de Saddam Hussein en 2003 suite à l'invasion américaine va conforter la position de l'Iran dans la région. Téhéran devient de facto le dernier rempart face au géant américain et à Israël,ce qui lui permet de gagner les faveurs de la rue arabe,une rue arabe de plus en plus critique à l'égard de ses propres dirigeants qu'elle accuse d'une trop grande complaisance envers «l'entité sioniste » et les gouvernements occidentaux,allant même jusqu'à les traiter de « traîtres » et de « collaborateurs ».
Israël se sent,à cet égard,également menacé par l'Iran-pays avec lequel elle avait pourtant entretenu d'excellentes relations à l'époque du Chah,notamment dans le domaine de la coopération militaire: rappelons que le régime des Pahlavi a fortement approvisionné Israël en pétrole suite à la Guerre des Six jours remportée par Tsahal en 1967 et que l'Iran a été le second pays à majorité musulmane-après la Turquie-à avoir reconnu la souveraineté de l'État hébreu peu après sa création en 1948. Ce-dernier invoque le danger que représente la République islamique pour sa sécurité en se référant au soutien prodigué par Téhéran à des entités hostiles: République Arabe Syrienne,Hezbollah libanais ou encore Hamas palestinien. Par ailleurs, Tel-Aviv ne manque pas de reprendre les propos de l'ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad qui avait déclaré en 2005,année de son élection,qu'il adhérait entièrement aux propos de l'Imam Khomeini,citons: « ce régime qui occupe Jérusalem doit disparaître de la page du temps » phrase souvent rapportée-volontairement ou par malentendu- sous la forme « Israël doit être rayé de la carte ». Pour le gouvernement israélien d'ajouter que l’Iran continue de servir de plate-forme intellectuelle à des écrivains négationnistes et révisionnistes comme le français Robert Faurisson ou l'historien américain David Duke. En conséquence,une hypothétique acquisition de l'arme nucléaire par l'Iran représenterait un drame pour les responsables israéliens.
Enfin,la théocratie iranienne est également perçue comme une menace par les Occidentaux,à commencer par les Américains.
Le règne du Chah avait pourtant placé les relations entre les deux pays sous le sceau de l'amitié et de la coopération. L’Iran avait adhéré dès 1955 au pacte de Bagdad- une sorte de ramification moyen-orientale de l'OTAN- qui visait à endiguer l'influence soviétique dans la région. La Maison Blanche comptait également faire de l'Iran le garde-fou de la puissance américaine au Moyen-Orient aux côtés d'Israël :les deux pays,de par leur position stratégique,-car situés aux deux extrémités géographiques de la région-devaient en effet jouer un rôle majeur dans le cadre de la politique régionale de containment. Ce positionnement leur permettait d'encercler les régimes baasistes de Hafez El Assad en Syrie et de Ahmed Hassan El Bakr en Irak,qui présentaient de « dangereux symptômes » de rapprochement avec l'URSS;citons entre autres,pour l'Irak,la signature du traité d'amitié irako-soviétique en 1972 ou la nationalisation du pétrole irakien la même année.
Les relations entre Washington et Téhéran se dégradent néanmoins rapidement avec Révolution iranienne de 1979 tandis que l'épisode de la prise d'otages de l'ambassade américaine rompt brutalement les relations diplomatiques entre les deux pays. L'extrême tension des rapports irano-américains se manifeste d'ailleurs à travers la rhétorique véhémente dont usent les deux parties: tandis que le discours officiel iranien assimile l'Oncle Sam au « Grand Satan »,le président George W. Bush a de son côté rangé l'Iran au sein des pays de « l'Axe du mal » dans son discours sur l'état de l'Union du 29 janvier 2002. L'épineux dossier du programme nucléaire iranien a également revigoré les tensions entre les Occidentaux et l'Iran,entraînant même un durcissement des sanctions économiques en 2010.
Cette résurgence des tensions est elle-même liée aux multiples enjeux du dossier nucléaire iranien pour Washington et ses alliés du vieux continent : respect du principe de « non-prolifération »,prestige et crédibilité sur la scène internationale ou encore défense de partenaires stratégiques au Moyen-Orient,en l'occurrence les pétromonarchies du Golfe,la Turquie et surtout Israël.
De surcroît,le contentieux iranien n'est pas exempt de considérations d'ordre civilisationnel. En effet,les Américains brandissent la menace que représente le régime des mollahs pour les valeurs du « monde libre » et de la civilisation occidentale :liberté individuelle,démocratie,droits de l'homme,etc.
Ainsi,malgré d'importantes divergences dans les intérêts,dirigeants arabes,israéliens et américains s'accordent sur le danger représenté par l'Iran: tous ont intérêt à faire tomber « l'ogre persan » ou à l'affaiblir tout au moins.
Il convient toutefois de s'intéresser aux chiffres et aux faits de la « menace iranienne »;deux problématiques apparaissent dès lors : Quel est le poids militaire réel de Téhéran ? La menace iranienne n'est-elle pas exagérée par nos médias et gouvernements ?
Du poids géostratégique réel de l'Iran: entre propagandes et réalités
Les
discours alarmistes des dirigeants israéliens et occidentaux,couplés
au battage médiatique sur l'imminent danger représenté par le
gouvernement théocratique de Téhéran,viennent souvent recouvrir
les réalités,chiffres et manifestations du rapport de force
Occident-Iran.En effet,ce-dernier est pour l'instant globalement-pour
ne pas dire largement-favorable aux états occidentaux et à leur
allié de Tel-Aviv. Par analogie,la position des occidentaux et des
israéliens rappelle à bien des égards celle qui prévalait à la
veille l'Opération Desert Storm de 1991 vis-à-vis de
l'Irak:le secrétaire américain à la Défense de l'époque,le très
néo-conservateur Dick Cheney,présentait alors l'armée irakienne
comme "La quatrième armée au monde"...
Les
armées de l'OTAN et Tsahal disposent tout d'abord d'une avancée
technologique considérable sur l'Armée de la République Islamique.
Ajoutons à cela le gouffre béant qui sépare les Etats Membres de
l'OTAN de l'Iran en ce qui concerne le budget consacré à l'armée:
1000 milliards de dollars contre 10 milliards seulement pour Téhéran.
Relevons d'ailleurs que trois des Etats membres de l'OTAN-en
l'occurence la France,le Royaume-Uni et les Etats-Unis-plus Israël
disposent de l'arme nucléaire ce qui n'est en revanche pas le cas de
Téhéran. Par ailleurs,une analyse des données géopolitiques de la
région permet rapidement d'écarter toute hypothèse d'utilisation
de l'arme nucléaire par le régime islamique contre l'État
hébreu,bien au-delà des déclarations controversées des
responsables iraniens. Les Israéliens disposent de plus de 200
missiles nucléaires;par conséquent,en cas d'emploi de l'arme
suprême contre Tel-Aviv,la réaction israélienne serait encore plus
dévastatrice et ce serait l'Iran qui serait in fine rayé de
la carte avant même que les premiers missiles iraniens n'atteignent
le sol israélien. En outre,Les dirigeants iraniens sont conscients
que l'annihilation d'Israël par l'arme nucléaire impliquerait
inéluctablement de très graves répercussions sur la Palestine...
Autre élément,l'US Army dispose d'un réseau de plus de 40 bases à
la périphérie du territoire iranien (voir carte ci-dessous): en
Turquie,en Asie Centrale,dans le Golfe,en Afghanistan,au Pakistan et
en Irak. De sucroît,la perspective d'une chute du régime de Bachar
El Assad en Syrie- même si celle-ci semble de moins en moins
probable compte tenu de la tournure prise par les événements en
Syrie mais aussi de la popularité dont jouit le président Assad
auprès de son peuple (70% d'avis favorables selon une enquête
réalisée par l'OTAN)- achèverait de compléter l'encerclement du
territoire iranien par les Etats-Unis. Aussi,l'hypothèse d'un
changement de régime à Damas assénerait-elle un coup fatal à
l'influence iranienne dans la région: le puissant croissant chiite
Iran-Syrie-Hezbollah serait dès lors coupé,isolant ainsi le
Hezbollah et le privant du soutien logistique,militaire et financier
du gouvernement iranien qui jadis transitait par la Syrie. Le "Parti
de Dieu" deviendrait alors plus vulnérable aux yeux d'Israël.
Carte des bases
militaires américaines au Moyen-Orient
En réalité,l'Iran ne semble pas représenter une menace pour Israël et encore moins pour l'Occident. L'analyse des différents rapports de force permettrait même d'affirmer que l'Iran est plus menacé par ces-derniers qu'elle ne les menace. C'est plutôt l'idée d'un nouvel équilibre stratégique avec une autre puissance régionale au Moyen-Orient qui inquiète réellement le gouvernement de Tel-Aviv.
Néanmoins,si
la menace iranienne est globalement surestimée par les responsables
européens,américains,israéliens et arabes,il convient de rappeler
que l'acteur iranien ne doit pas être sous-estimé. En effet,la
République islamique s'est désormais hissée au rang de pièce
maîtresse sur l'échiquier moyen-oriental et cette dernière dispose
d'une aura considérable au sein des populations musulmanes de la
région. Des négociations et l'ébauche d'une normalisation des
rapports avec l'Iran s'imposent dès lors. Elles permettraient,d'une
part,d'atténuer les tensions dans cette région habituellement
surnommée "la poudrière du monde" et,d'autre part,de
redorer l'image de marque de l'Oncle Sam auprès de l'opinion
arabo-musulmane,image fortement ternie d'abord par
l'interventionnisme forcené de l'Administration Bush,puis par
l'inconstance de l'Administration Obama.
La Diplomatie plutôt que la Force
L'échec de la
Guerre d'Irak de 2003 n'a pas manqué de déceler les limites de la
politique étrangère interventionniste et unilatérale défendue par
le brain trust néo-conservateur de l'ancien président G.W
Bush. Si l'opération Iraqi freedom s'est
avérée un succès pour les États-Unis et a conduit au renversement
du régime de Saddam Hussein et à la capture de ce dernier suite à
l'opération Red Dawn,l'objectif
à long terme d'assurer la stabilité en Irak n'a pas été achevé
par l'administration américaine et,depuis le retrait des troupes
américaines en 2011,le gouvernement irakien peine à affirmer son
autorité sur l'ensemble territoire. En effet les forces
gouvernementales éprouvent des difficultés à pacifier le pays face
à "la guérilla irakienne",un ensemble hétéroclite de
groupes insurgés indépendants entre eux- voire même antagonistes
dans certains cas- hostiles au gouvernement installé par la
coalition anglo-américaine,à tel point que l'Irak figure parmi les
16 états faillis en "situation critique" selon le Failed
States Index de la revue Foreign
Policy. Pis encore pour le
Pentagone,le reversement du régime à dominante sunnite de Saddam
Hussein a conduit à l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement
pro-chiite - et par conséquent proche du régime iranien- dirigé
par le Premier ministre Nouri Al Maliki,en témoigne l'engagement
discret des forces armées irakiennes aux côtés des troupes
loyalistes du président Assad. En éradiquant le régime
baasiste,les américains ont donc,malgré eux,fait le nid d'un arc
chiite étendu Iran-Syrie-Hezbollah auquel viendrait désormais se
greffer l'Irak."Ne lance pas la flèche qui se retournera contre
toi",disait un vieux proverbe kurde...
Les responsables
militaires américains semblent avoir tiré les enseignements du
fiasco irakien. C'est du moins ce que les décisions successives de
l'Administration Obama laissent supposer:décision de ne pas
intervenir directement en Libye en 2011,réserve dans la gestion de
la crise syrienne,nomination de l'atypique sénateur républicain
Chuck Hagel-qui avait dénoncé l'influence des lobbys sionistes dans
la politique étrangère américaine-au poste de Secrétaire à la
défense. L'option militaire serait donc peu envisageable compte tenu
du chemin emprunté par le Département d'État et le Pentagone sous
la présidence de Barack Obama.
En
plus d'être peu probable,une hypothétique intervention militaire en
Iran serait désastreuse et ne contribuerait qu'à amplifier les
tensions. Certes l'US Army remporterait une écrasante victoire sur
l'armée iranienne,le régime théocratique serait destitué et ses
principaux dignitaires subiraient peut-être le même sort que leurs
homologues irakiens. Néanmoins,les conséquences à long terme d'une
telle action seraient désastreuses. Premièrement,Moscou ne verrait
très certainement pas d'un bon oeil la présence de bases militaires
américaines à proximité du Caucase,région hautement stratégique
sous influence militaire russe,ce qui compléxifierait davantage les
relations bilatérales russo-américaines et pourrait semer les
germes d'une "Seconde Guerre froide". Deuxièmement,la
Chine,qui entretient d'excellentes relations commerciales avec
l'Iran,notamment dans le domaine énergétique,pourrait arrêter de
financer la dette colossale contractée par le Trésor
américain,déclarant ainsi une guerre économique aux États-Unis.
Troisièmement,l'Oncle Sam ne ferait qu'amplifier la haine des
populations musulmanes à son égard et,ce faisant,la prophétie d'un
"Choc des civilisations" entre monde occidental et monde
musulman,émise par Samuel Huntignton, deviendrait de plus en plus
inéluctable. En outre,la rancoeur du monde musulman à l'égard des
américains pourrait se manifester,dans les cas les plus extrêmes
par des actes terroristes impliquant dès lors une réaction du monde
occidental;le monde s'embourberait dans un cercle vicieux: la War
on Terror initiée par Bush fils
aurait alors l'effet inverse de celui escompté. La superposition de
ces facteurs conduirait même,à très long terme,à l'émergence
d'un monde bipolaire: d'un côté le monde occidental,de l'autre
l'alliance orthodoxo-islamo-confucéenne,confirmant l'hypothèse du
professeur Huntington.
Eviter
un conflit en Iran apparait donc comme primordial au vu des
conséquences que pourrait engendrer une attitude belliqueuse de la
part des pays occidentaux et de leur allié israélien. Il convient
cependant de pas se montrer passif vis-à-vis du régime iranien afin
de ne pas s'enfermer dans une nouvelle politique d'Appeasement
comme celle menée par le
Premier Ministre Chamberlain dans les années 1930. Ce parallèle
n'implique en aucun cas une analogie entre les régimes iranien et
nazi. Bien au contraire,c'est justement parce-que le régime iranien
reste malgré tout un régime semi-démocratique qu'il est possible
de dialoguer. Pour ce faire,l'Occident se doit en premier lieu
d'effectuer une retrospection de sa politique au Moyen-Orient afin de
comprendre son impopularité généralisée dans la région. Les
occidentaux et le "Gendarme du monde" américain n'ont-il
pas littéralement fait preuve de schizophrénie au Moyen-Orient au
cours des cinquante dernières années en fermant les yeux sur les
exactions commises par l'armée israélienne en Palestine tout en
dénonçant le massacre de 5000 villageois kurdes par l'armée
irakienne à Halabja en 1988 ? en soutenant des mouvements islamistes
pour contrer la montée du Nationalisme arabe ou lutter contre
l'expansionnisme soviétique,avant de dénoncer l'Islamisme comme
nouvelle "menace globale" au lendemain de la chute du mur ?
Les puissances occidentales n'ont-elle pas allègrement négligé les
intérêts des populations moyen-orientales,et ce dès la période
coloniale,à coups de provocations-comme la déclaration Balfour de
1917- ou de promesses non-tenues comme celle qui consistait en la
création d'un Grand Royaume Arabe en l'échange de la participation
des tribus nomades d'Arabie à la lutte contre l'Empire Ottoman ?
C'est cette accumulation d'affronts envers les populations du
Moyen-Orient qui est à l'origine de la rancoeur éprouvée par
ces-derniers vis-à-vis de l'Occident,rancoeur elle-même à
l'origine de la montée de l'anti-américanisme le plus radical
aujourd'hui incarné par l'Islamisme. Ainsi,le camp occidental se
doit-il de faire son mea culpa
afin de sortir de la vision manichéenne du monde dans laquelle il
s'est enfermé au lendemain du 11 Septembre,ce qui constitue la
condition sine qua non
d'un dialogue des civilisations,lui-même indispensable à la paix.
Toujours
sur le plan moral,l'Occident doit adopter une attitude moins
offensive vis-à-vis du programme nucléaire iranien,qui,il faut le
rappeler,se veut avant tout à usage civil. Par ailleurs,quand bien
même la République islamique souhaiterait se doter de l'arme
atomique,il convient de passer en revue les données géopolitiques
qui pourraient la pousser à aller dans ce sens: Comment peut-on
négocier en négligeant les intérêts de son interlocuteur ? L'Iran
dispose d'arguments convaincants à cet effet: la proximité
géographique de deux états proliférateurs et alliés des
Etats-Unis-Israël et le Pakistan-ou encore le fait que l'Iran soit
entouré de bases militaires américaines. Un éventuel programme
nucléaire permettrait-il ainsi à Téhéran de sanctuariser son
territoire,ce qui est tout à fait louable. Faut-il pour autant faire
confiance au régime iranien ? Cette question est cruciale et ne
saurait être résolue en un court laps de temps. Il convient
toutefois de rappeler que pendant très longtemps,Soviétiques et
Américains ont oeuvré pour enrayer les programmes nucléaires
chinois et français estimant que ni De Gaulle ni Mao n'étaient
assez dignes de confiance pour détenir l'arme suprême. Une sorte
d'Ostpolitik-comme
celle menée par Willy Brandt vis-à-vis de la RDA- ou de Sunshine
Policy-à l'image de la
politique de rapprochement entre les deux Corées menée par l'ancien
président du Sud Kim Dae Jung entre 2000 et 2008-serait
ainsi souhaitable dans le cas de l'Iran.
Si
les décisions politiques sont fondamentales,d'autres
initiatives,d'ordre économique par exemple,peuvent jouer un rôle de
catalyseur dans le processus de paix. Le philosophe allemand Emmanuel
Kant soutenait en effet,dans son Projet
de paix perpétuelle (1795),que
le développement des relations commerciales entre nations favorisait
l'entente entre celles-ci. Un rapprochement économique avec l'Iran
serait hautement bénéfique tant pour les Occidentaux que pour
Téhéran. Pour ce faire,des efforts de coopération doivent être
entrepris des deux côtés. Côté occidental,un allègement
progressif des sanctions économiques pesant sur l'Iran s'impose et
pourrait débuter par l'abrogation du
D'Amato-Kennedy
Act
de 1996 qui vise à sanctionner économiquement les « rogue
states »,ou « états voyous »- terminologie que
l'establishment
américain se devrait de bannir s'il souhaite réellement s'engager
dans la voie de la paix. Côté iranien, une ouverture économique à
l'occident s'impose: le succès fracassant du modéré Hassan Rohani
aux dernières élections présidentielles constitue une chance à
saisir pour les partisans de la paix en Europe et aux États-Unis. De
surcroît, une telle politique d'ouverture permettrait de relancer
une économie iranienne asphyxiée par des années de
sanctions,renforçant ainsi le prestige des camps réformateur et
modéré incarnés par Rohani,Rafsandjani ou encore l'opposant Mir
Hossein Moussavi,sur la scène politique iranienne.
Enfin,un
règlement de l'épineux problème israélo-palestinien s'impose dans
la perspective de meilleurs rapports avec l'Iran et le monde
musulman. Cette question polémique reste néanmoins extrêmement
délicate à gérer. En effet,l'influence des lobbys sionistes et
évangélistes sur la politique étrangère de l'Empire américain
semblent empêcher un changement de cap dans la politique de l'Oncle
Sam vis-à-vis de ce que beaucoup appellent « Le 51ème état
des États-Unis » . De son côté l’État hébreu nourrit une
crainte légitime: celle que de nouveaux accords de paix ne soient
exploités à des fins vindicatives par certains groupes armés
palestiniens,comme ce fut le cas à la suite de la signature des
accords d'Oslo en 1993. Il y a néanmoins un principe que
Palestiniens et Israéliens doivent impérativement intégrer :
tant que leurs relations bilatérales resteront guidées par la loi
du Talion,toute tentative d'instaurer une paix durable sera vouée à
l'échec...
Bilan
C'est un fait: la
République islamique d'Iran fait désormais partie intégrante du
cercle très restreint des puissances géostratégiques au
Moyen-Orient. De ce fait,l'ébauche d'un processus de paix dans la
région ne saurait se faire sans la participation du gouvernement de
Téhéran. Le régime iranien n'est certes pas exempt de tout
reproche au vu des nombreuses violations des droits de l'homme dont
il est à l'origine. Il faut néanmoins rappeler que l'Iran
constitue,au vu de ses institutions,le troisième état le plus
démocratique de la région après Israël et la Turquie et que les
sacro-saints Droits de l'Homme y restent mieux respectés que dans
des pays comme l'Arabie saoudite,pourtant grand allié des États-Unis
depuis le pacte du Quincy signé en 1945.
Des négociations
semblent donc possibles et seraient bénéfiques pour les deux camps.
Celles-ci revêtent également un caractère décisif dans
l'aboutissement du processus de paix au Moyen-Orient: si elles
réussisent,elles pourraient relancer un dialogue des civilisations ô
combien nécessaire à l'entente entre monde occidental et monde
musulman. En revanche,si elles échouent,l'humanité ferait alors un
grand pas en avant...vers une Troisième Guerre mondiale.